Il ne s'agit pas ici de célébrer le postcinéma éclaté des
années 70, pas plus celui de Buñuel que celui des postnouvelles vagues
maniéristes. C'est juste que Buñuel et les autres, ça fait deux. Deux hommes de
qualité accompagnent Luis Buñuel dans ses derniers films, Serge Silberman et
Jean-Claude Carrière, deux accoucheurs de première sans qui Buñuel aurait
probablement avancé l'âge de sa retraite, consacrant ses dernières forces (on
allait dire ses «dernières volontés», ce qui n'aurait pas été plus mal) à
espionner les allées et venues de son épouse. Qui retrouvera, aux Cahiers
ou ailleurs, cette étonnante interview de madame Buñuel, racontant par le menu
les terrifiants interrogatoires d'amour que lui faisait subir son amant et
maître. Si la paranoïa et Buñuel, ça faisait deux, la jalousie et Buñuel, ça
faisait un. Revoir El ou la Vie criminelle d'Archibald de la Cruz
pour s'en assurer.
Le Charme discret de la bourgeoisie (1972) est
un «vaudeville fantastique et métaphysique», pour reprendre la belle
expression de Lourcelles, qui décrit le film comme «un récit à tiroirs où
l'imaginaire des personnages et leur réalité sociale s'imbriquent de manière à
susciter constamment la stupéfaction, le rire et la complicité du
spectateur». Avec des acteurs de l'envergure de Paul Frankeur, Julien
Bertheau, Bulle Ogier ou Delphine Seyrig, la partie est un pur délire, peuplé
d'obsessions et de fantasmes incarnés comme rarement au cinéma.
Et le
cinéma ? A Dieu vat, s'il veut bien. S'il ne veut pas, lire plutôt le séminaire
de Lacan sur l'Amour pour s'étourdir de l'extrême sophistication du monde
et de l'extraordinaire sauvagerie des femmes. On peut aussi revoir ce Buñuel
oublié, pervers, nymphique, The Young One (1960), en relisant
Lolita du côté de Digne, là où Nabokov s'étourdissait de la seule chasse
qui comptait à ses yeux, la chasse aux papillons. Pour un été tardif, il n'y
a pas mieux.