Certes, j'écris pour les jeunes filles. Mais il m'arrive aussi de les lire. Qu'ont-elles de mieux que les vieux messieurs, à part leur peau tendue ? Un chagrin impalpable, comme Sagan dans Bonjour tristesse. Un désir timide, comme Colette dans L'Ingénue libertine. Quand Nabokov invente Lolita, c'est parce qu'il ne les a pas lues : il ne sait pas qu'il entérine un archétype. Lire les romans de ces créatures insolentes, c'est plonger au cœur du pouvoir : comme le dit le remarquable essai d'Olivier Bardolle (LaVie des jeunes filles, L'Editeur), nous vivons l'époque de la «jeune- fillisation» du monde. La jeune fille gouverne, elle décide de tout, et tous veulent lui ressembler, implorent son regard, rêvent de sa bénédiction.
L'an dernier, Myriam Thibault avait publié un recueil de nouvelles fascinées par les snobs de notre capitale : Paris je t'aime (Léo Scheer, 2010). Comme Bénédicte Martin ou Lolita Pille, on sent qu'elle critique un milieu auquel elle rêve d'appartenir. Mais est-ce que la littérature sert à autre chose ? Son premier roman s'intitule Orgueil et désir: cette fois, elle place la barre bien plus haut. Si l'on ne se prend pas pour Jane Austen à 17 ans, quand le fera-t-on ? Myriam Thibault a une grande qualité : elle n'a peur de rien. Elle écrit avant de réfléchir. Son roman est l'histoire d'une rencontre ratée entre un homme et une femme. L'homme la remarque à la terrasse d'un café et la suit, puis c'est elle qui est intriguée et le prend en filature au moment où il avait renoncé. Cette construction n'est pas banale : entre L'Arroseur arrosé des frères Lumière etune Ronde de Schnitzler qui changerait de sens en cours de route. L'adage «Suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis» est ici décliné sous forme de marivaudage virtuel autour du Café de la Perle.
Orgueil et désir est truffé d'imperfections : Myriam Thibault cite les paroles d'une (très bonne) chanson de Benjamin Biolay en leur intégralité sur trois pages d'un livre qui n'en compte qu'une centaine. Elle énumère toutes les marques de luxe, comme Ellis il y a vingt ans. Il serait peut-être temps de trouver autre chose pour définir une femme que le logo de son sac à main. Je sens que je suis en train de lui refaire le coup de Mauriac traitant Sagan de «charmant petit monstre». Voici un roman bâclé comme un devoir de vacances, ah lala, cette petite provinciale ferait mieux de travailler, elle peut mieux faire, etc. J'en veux beaucoup à Myriam Thibault de faire de moi un vieux ronchon épaté.
Orgueil et désir,de Myriam Thibault, Léo Scheer, 104p., 18€.